ÉPOUSE-MOI OU TUE-MOI
PRAYER LISE
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1034 pages. Temps de lecture estimé 12h55min.
La pluie tambourine violemment contre les vitres ternies de la cuisine, s'insinuant dans chaque fissure de cette maison en ruines. Madeleine, que tout le monde appelle Mady, serre son pull contre elle. Ce tissu trop fin peine à la protéger du froid qui s'immisce dans ses os. À presque 20 ans, elle se sent pourtant plus petite qu'une enfant. Assise dans un coin de la cuisine, elle fixe le sol, espérant qu'en restant immobile assez longtemps, elle deviendra invisible aux yeux de sa tante Viviane et de sa cousine Ilona. Mady aurait dû être en dernière année de faculté, poursuivant des études qui lui permettraient de rêver à un avenir meilleur. Élève brillante, passionnée de littérature et de psychologie, elle trouvait refuge dans les mots et les histoires des autres. Mais ces rêves se sont évanouis le jour où ses parents ont perdu la vie dans un tragique accident. Ce jour-là, alors qu'ils revenaient tous de l'église, un bus a perdu ses freins et s'est écrasé contre un mur. Mady, qui était parmi les passagers, est sortie indemne, mais ses parents ont péri sous ses yeux. Elle n'oubliera jamais ce moment dévastateur, marquant à jamais son âme d'une cicatrice indélébile. À seulement 16 ans, alors qu'elle était en terminale, Mady a été confrontée à l'horreur de perdre ses parents sans pouvoir rien faire pour les sauver. Après cet événement tragique, son oncle Antoine, un parent éloigné, l'a accueillie chez lui, faute d'autre alternative. Personne ne voulait de Mady ; tous craignaient d'accueillir une jeune fille portant le poids d'un tel traumatisme. Seul Antoine s'est retrouvé contraint de prendre cette responsabilité, conscient que sa nièce allait souffrir chez lui, mais ne pouvant laisser une jeune fille seule dans la rue. Viviane, la tante de Mady et épouse d'Antoine, la maltraite sans relâche. Pour elle, Mady n'est qu'un fardeau dont il faut se débarrasser. Antoine, quant à lui, est devenu un homme résigné, sans emploi depuis deux ans. Il se laisse aller à la désespérance, se réfugiant dans l'alcool pour échapper à la réalité. Viviane gère tout : elle paie le loyer, subvient aux besoins de leur fille Ilona et contrôle chaque aspect de leur vie familiale. Antoine est devenu un père inutile aux yeux de sa femme, qui ne manque jamais de lui rappeler son incapacité à subvenir aux besoins du foyer. Dans cette famille dysfonctionnelle, la présence de Mady est perçue comme une entrave. Viviane ne voit aucun intérêt à financer l'éducation d'une orpheline qui n'est pas sa propre fille. L'université est devenue une chimère lointaine pour Mady, alors qu'elle était si jeune et si talentueuse et aussi rêveuse. Mady possède une beauté douce et discrète, mais la souffrance a laissé des marques profondes sur son visage. Ses longs cheveux bruns aux reflets dorés, négligés et emmêlés, encadrent son visage angélique marqué par des cernes persistants. Ses yeux gris perle, perçants et mélancoliques, reflètent une douleur silencieuse et une tristesse infinie. Sa peau légèrement hâlée, résultat d'années passées à travailler sous le soleil brûlant, contraste avec la maigreur de son corps affamé. Elle ne mange que tous les deux ou trois jours, parfois même quatre si Viviane le permet bien-sûr. Dans ce cadre sombre et oppressant, Mady rêve encore en secret d'un avenir différent, d'une vie où elle serait libre de poursuivre ses passions et d'être aimée pour ce qu'elle est. Mais pour l'instant, elle reste prisonnière de cette réalité cruelle qui semble vouloir l'engloutir. Mais elle pense que tout est possible, que tout peut changer d'un jour à l'autre. Grande et élancée, elle pourrait paraître élégante si elle n’était pas constamment courbée par la fatigue et le poids du mépris qu’elle subit chaque jour venant de sa tante et sa cousine. Si Mady est une rose fragile, Ilona, sa cousine, la fille unique d'Antoine et Viviane, est une vipère venimeuse. Ilona LOHR, âgée de 21 ans, incarne tout ce que Mady ne peut pas être : brillante, arrogante et d'une confiance inébranlable. Elle poursuit des études en commerce international, persuadée que son avenir est déjà tracé et qu’elle n’aura jamais à se battre pour survivre. Contrairement à Mady, Ilona n’a jamais connu le manque, sa mère s'assurant qu'elle ne manque de rien. Cette supériorité sociale lui confère une cruauté naturelle envers ceux qu’elle juge inférieurs, et par-dessus tout, envers Madeleine. Physiquement, Ilona attire toujours l’attention. Ses longs cheveux noirs, d’une brillance impeccable, tombent avec perfection sur ses épaules. Ses yeux bleu foncé, en amande, expriment un mélange de malice et de mépris constant. Son corps élancé et bien entretenu trahit l’aisance de sa vie. Elle porte toujours des vêtements à la mode, choisis avec soin, contrastant cruellement avec les habits usés et négligés de Mady. Ilona n’a jamais accepté la présence de l’orpheline – c’est ainsi qu’elle aime l’appeler – dans sa maison. Pour elle, Mady est une erreur, une tache indésirable sur le tableau de son quotidien luxueux. Elle ne manque jamais une occasion de lui rappeler qu’elle n’a pas sa place ici, que son existence même est une gêne, et que, par essence, elle est une orpheline qui mérite de disparaître. Alors que Mady se trouve dans la cuisine, son ventre gargouille, souffrant de la faim après deux jours sans nourriture. La pluie tambourine contre les vitres, ajoutant à la froideur ambiante qui s’infiltre dans ses vêtements trop fins pour la protéger. Elle se tient là, perdue dans ses pensées, lorsque la voix tranchante de Viviane, sa tante brise l’illusion fragile de tranquillité. — Tu vas rester là à ne rien faire encore longtemps ? Regarde-toi, tu es une honte. Une fille inutile qui respire notre air pour rien. Tu devras également payer pour l’air que tu respires. Mady relève doucement la tête, mais avant qu’elle ne puisse répondre, Ilona ricane en s’adossant au plan de travail. — Elle croit peut-être qu’un prince va venir la chercher pour l’arracher à cette misérable existence. Elle se prend pour Cendrillon dans un conte de fées, réveille-toi petite cousine, le conte de fées c'est seulement à la télévision et dans nos rêves, ça n'existe pas, continue-t-elle avec un sourire moqueur. Regarde-la avec ses cheveux toujours en désordre, comme une folle. Une orpheline qui rêve trop ! Se levant lentement de sa chaise, Mady cherche désespérément quelque chose à faire enfin de pouvoir au-moins avoir quelque chose à manger pour aujourd'hui. Les yeux d’Ilona l’examinent de haut en bas comme si elle était une marchandise de mauvaise qualité. — Sérieusement, maman, pourquoi tu la laisses encore ici ? Ce parasite nous encombre ; elle fait pitié et en plus elle détruit l'atmosphère. Imagine si mes amis viennent ici ; que diront-ils en voyant cette chose ici, maman!? Viviane, occupée à mélanger quelque chose dans la marmite, hausse les épaules avec désinvolture. — Tu diras juste qu'elle est de passage, ma fille. Et aussi elle est ici parce que ton bon à rien de père a dit que personne d’autre ne veut d’elle ; comme si c’était lui qui rationnait ici chaque jour. Mari inutile qu'il est. Les mots de Viviane résonnent dans l'air comme une sentence. Alors que Mady rassemble quelques assiettes sales, Ilona s’accroupit à son niveau, son sourire cruel illuminant son visage. — Tu sais, si tu avais un minimum de dignité, tu partirais toute seule d'ici, lâche-t-elle d’une voix douce, presque chantante. Mais non, tu es trop lâche pour ça. Ne vois-tu pas qu'on ne veut pas de toi ici ? Libère le plancher, petite orpheline. Mady reste immobile, les mains serrées sur ses genoux. Elle refuse de répondre, refuse de donner à Ilona cette satisfaction de l’humilier davantage. Pourtant, à l’intérieur d’elle-même, chaque mot s’enfonce comme une lame dans son cœur meurtri. Dans ce silence pesant, elle rêve secrètement d’un monde où elle serait enfin libre de vivre sans crainte ni dédain. Un monde où Viviane et Ilona n'existeront pas. Mais elle sait bien que c'est impossible, ce monde n'est juste que dans sa tête mais ne sera jamais réel et n'existera pas. Et elle se dit qu'elle est là parce qu'elle n'a nulle part où aller, mais par-dessus tout, elle condamne le dimanche. Pour Mady, ce jour ne devrait pas exister ; sinon, ses parents seraient encore en vie et elle ne souffrirait pas ainsi car cet accident n'aurait pas pu avoir lieu. Parmi les jours de la semaine, elle déteste particulièrement le dimanche, car c'est ce jour qui a ouvert la porte à ses malheurs. Viviane pose brutalement la louche sur la table et se tourne vers elle. — Si tu veux manger ce soir, tu dois travailler. Le regard de Mady tremble. Elle sait exactement ce que cela signifie. Elle va devoir récurer le sol, laver les vêtements sales d’Ilona, courir dans la ville pour leurs courses, tout cela sous les moqueries incessantes de sa cousine. Et à la fin, peut-être aura-t-elle droit à une assiette à moitié pleine… ou pas. Ilona lui tend un chiffon, le laissant tomber devant elle comme si elle lui lançait un os. — Tu ferais mieux de commencer tout de suite, esclave. Un silence pesant suit ces mots. La gorge de Mady se serre, mais elle se lève malgré tout laissant les assiettes. Elle attrape le chiffon avec une lenteur calculée, refusant de montrer sa douleur. Pourtant, les larmes commencent à couler, incontrôlables. Elle s’accroupit et commence à frotter le sol en pleurant silencieusement, ignorant les ricanements de sa cousine qui s'amuse à la voir dans cet état. Viviane et Ilona continuent de discuter entre elles, parlant de vêtements, de soirées et d’autres choses auxquelles Mady ne pourra jamais prétendre. Elles passent délibérément là où elle a déjà nettoyé, écrasant la saleté sous leurs pieds. Mady encaisse tout cela en silence ; elle n’a plus la force de parler. Et même si elle le faisait, ça ne changera rien. — La nourriture sent bon, maman, dit Ilona, juste pour blesser Mady qui sait pertinemment qu'elle n'a pas mangé depuis un bon moment. — Et certains, je crois, vont se contenter de l’odeur sans jamais goûter au plat, rétorque Viviane en ricanant avec sa fille. Et Mady sait très bien que c'est d'elle qu'elles se moquent. Plus d’une heure passe. Lorsque Viviane et Ilona quittent enfin la cuisine après s'être bien moquées de Mady, celle-ci s’arrête, posant ses mains tremblantes sur ses genoux. Elle ne sait pas combien de temps elle pourra encore endurer cela. Parfois, elle évite même d'y penser car elle sait que c'est impossible ; cela n'arrivera jamais. Elle est condamnée à cette vie. C’est alors qu’elle entend une chaise racler contre le sol. Son oncle Antoine s’est redressé ; sa silhouette fatiguée se détache dans l’ombre. Il pose lentement sa bouteille sur la table et fixe Mady. Il semble hésitant, comme si parler lui demandait un effort surhumain. Puis, contre toute attente, il tend une main fatiguée et pose doucement ses doigts sur l'épaule de Mady. — Je suis désolé, dit-il. Elle lève les yeux, surprise par cette soudaine attention. — Tu mérites mieux, ajoute-t-il. Sa voix est rauque, comme si elle n’avait pas été utilisée depuis longtemps. Puis il se lève et disparaît dans le couloir sombre. C'est toujours comme ça avec lui ; il ne parle jamais vraiment, il ne fait que se noyer dans l'alcool. Mady reste immobile. Cette once de réconfort, même infime qu'elle soit, est peut-être tout ce qu’elle recevra aujourd’hui. Elle compte bien la garder en mémoire et se remonter le moral avec cela, même si cela ne changera rien à sa situation. Elle ne lui en veut pas ; son oncle subit lui aussi les cruautés de Viviane. Ils sont tous deux des oiseaux du même plumage, victimes d’un sort commun. Contrairement à elle, son oncle a au moins les moyens de se noyer dans l'alcool pour oublier ses peines. Elle, même pour boire un verre d'eau, doit obtenir l'autorisation de la reine mère Viviane et de sa fille diabolique Ilona ; sinon, elle risquerait d'être abattue comme un serpent traînant dans l'ombre. Pour elle , tout est souffrance, elle ne sait même pas quel jour elle a rigolé pour la dernière fois ni si elle le fera encore. Elle vit juste pour vivre mais le goût de la vie a disparue chez Madeleine LOHR