Portraits des dames d'Egypte

Ce document est en accès libre.
  • français
QR code Scannez le QR code pour ouvrir ce document dans votre application.

Résumé

70 pages. Temps de lecture estimé 52min.
Mieux qu'un recueil de nouvelles, un collier de portraits de femmes. 1798. Camille Puteaux est un jeune peintre parisien qui a acquis la notoriété en peignant les exploits des armées de la Révolution. Las de glorifier les horreurs de la guerre, quand il embarque à Marseille pour accompagner Bonaparte dans la campagne d'Égypte, il décide qu'il ne peindra que des femmes.Secrètes, désirables, lointaines, insaisissables, sensuelles, les femmes d'Égypte dissimulent derrière leurs voiles des passions, des intrigues, des destins étonnants. Étonnante, cette jeune beauté qui s'offre à tous les militaires français parce qu'elle espère leur transmettre la peste qui la ronge. Étrange, cette femme qui n'a jamais ôté la voilette que son mari lui a offerte le jour de leur mariage parce qu'elle ne veut pas qu'il ait en mémoire un autre visage que celui de la jeune fille qu'elle fut. Surprenante, l'enfant bédouine qui entraîne les étrangers dans le palais somptueux du pharaon du désert et qui les déleste de leur rêves.Quinze femmes. Quinze tableaux. Quinze histoires baroques et surprenantes que Jean-Christophe Duchon-Doris nous raconte avec la verve et la puissance des grands conteurs orientaux. 1er août 1798, baie d'Aboukir.La frégate glisse sur son aire. Le soleil va bientôt se coucher. Il colore la baie de traînées cendrées qui viennent mourir sur la figure de proue, cette "Dame aux lunes" dont l'arrogante poitrine s'offre nue au vent lourd, étouffant, qui s'est peu à peu levé, agace les nerfs, commence à fouetter la brume de mer.? N'empêche, dit Gerbier, Fradin a raison: cela porte malheur.? Allons, nous avons traversé la Méditerranée, échappé aux canons anglais et elle était bien à bord, non?? Oui, mais déguisée. Cela change tout.Le vieux gabier arrête de frotter le pont pour s'essuyer le front. Il se rappelle avoir croisé au départ de Marseille le regard de feu de ce jeune officier, sanglé dans son bel uniforme et dont le tricorne cachait mal les boucles brunes. Ses yeux s'étaient dérobés et Gerbier s'était dit que les marins de la République étaient de plus en plus jeunes et d'une transparence à faire peur.Plus tard, en mer, il l'avait aperçue quelquefois auprès du capitaine. Toujours ce mélange de fermeté virile et de délicatesse féminine. Il portait la redingote d'enseigne de vaisseau, boutonnée par deux rangs de boutons qui lui serraient au corps en lui dessinant les hanches, avec des poches sur les côtés dans lesquelles il glissait volontiers les mains qu'il avait longues et très blanches. Il était toujours coiffé, malgré le vent, et se tenait la plupart du temps appuyé au balcon de la dunette, à regarder la mer, la tête enivrée par l'air du large. "Le mignon du capitaine", avaient ricané les hommes.Fradin, le fourrier, est reparti dans ses histoires de filles cachées à bord qui amènent la poisse. Peau-de-biche, treize ans, le plus jeune embarqué, l'écoute un instant puis reprend son travail. Les gabiers lui ont laissé la meilleure part: astiquer la figure de proue, la "Dame aux lunes", dont les formes feraient bander tous les saints du Paradis.? Et elle, demande l'enfant, elle amène aussi la guigne?? Elle, c'est pas pareil, dit Gerbier. C'est même le contraire: elle nous protège.? Touche ses seins, moussaillon. Ça porte bonheur!La baie a des pâleurs qui endorment. Le vent chaud fait trembler les gréements. Des cris parfois fusent des vaisseaux de ligne qui croisent plus au large. Après le débarquement à Alexandrie, la flotte toute entière est venue ancrer à Aboukir. L'amiral Brueys qui commande l'escadre, a adopté un dispositif en arc de cercle, appuyé au littoral par ses deux extrémités et bénéficiant du soutien des batteries de côte.? En tout cas, dit Cabalais, maintenant le doute n'est plus permis: le capitaine préfère les garces.Les autres s'esclaffent d'un rire qui sent la pipe et l'eau-de-vie. Seul Fradin fait la grimace.? Une femme à bord, je le répète, c'est signe de malheur. Tous les vrais marins vous le diront.Mais Cabalais revient à la charge.? Rince-toi l'œil, Peau-de-biche, t'en verras pas souvent des femelles comme celle-là!Tous les regards se portent sur la dunette. La signora Maria Cavaletto ne se cache plus depuis qu'ils ont touché la terre d'Égypte. Elle a troqué l'uniforme contre une robe de soie violette qui lui moule la taille. Sa gorge est belle et ses épaules rondes s'exaltent dans la lumière blanche des dentelles. Elle porte les cheveux ébouriffés en nuage au-dessus du front, tombant sur la nuque et retroussés sur le devant par un peigne d'or.Elle est toscane, dit-on, florentine, d'une grande famille d'avocats et de jurisconsultes, prise de guerre de la campagne d'Italie. Une jeunesse gourmande de fêtes et de succès, de conquêtes et d'orages, une nature trop emportée, trop indulgente au charme des sabres et des épaulettes. On l'avait vue au château de Mombello, invitée aux soupers de Bonaparte. Elle s'y était éprise d'un hussard à la face marmoréenne et sabrée au pont d'Arcole, qui l'avait aimée, laissée, reprise, abandonnée. Et le mal étant fait, la tête étourdie par ces jeunes Français de vingt ans qui jurent comme des paysans et dorment dans le lit des rois,elle a tourné de bras en bras, d'uniforme en uniforme, jusqu'au lit de ce capitaine qu'elle suit en Égypte moins pour la prestance de l'homme que parce qu'elle a toujours voulu vivre des songes vastes comme le monde et toucher des gloires hautes et pures comme le ciel.Les plus hardis des marins s'approchent pour mieux la voir: des cheveux bruns floconnants, abondants et légers, le menton ponctué d'une fossette, une bouche suspendue, hésitante entre la moue et le sourire, un air enfin à vouloir gifler la terre entière. Ainsi debout, cambrée, face au soleil, les cheveux tordus sur la tête, la lumière du couchant caressant le contour satiné de ses épaules, on dirait une reine.Pourtant chacun de ses gestes a des langueurs de fille. La signora Maria Cavaletto se penche sur la mer, interroge les flots et compte ses fêlures. Devant elle, sur l'eau moirée, son ombre palpite, se plisse de rides minuscules. Tout est allé si vite, pense-t-elle. Il y a encore deux ans, j'étais cette enfant insouciante qui dansait dans les salons de Florence, jouant de l'éventail, fendant la foule de mes adorateurs en des mouvements dédaigneux d'épaules. Et maintenant... N'aurais-je été qu'une nébuleuse de soldats, évanouie sans qu'il ne soit resté de moi plus qu'une trace de parfum?La brume de mer et le soir répandent sur la nudité de la coque des harmonies nouvelles qui transfigurent l'uniformité mate et rougeâtre du bois. Ils mêlent à sa pâleur monochrome un peu de perle et d'argent. Mais en ce premier août, la moiteur étouffante survit au jour et épuise les hommes. Seul Peau-de-biche a repris son travail. Son chiffon glisse entre les seins de bois, durs sous la paume, de la "Dame aux lunes". Il en caresse les tétons, en flatte les mamelons et, si sa main s'égare parfois plus bas, jusqu'au ventre potelé de la belle, elle remonte vite, comme en état de manque, vers la gorge généreuse de la figure de proue.Maria Cavaletto cherche des yeux le capitaine et s'aperçoit de tous ces hommes qui l'observent. Elle se sent seule soudain, petite fille perdue à l'autre bout du monde, une fleur posée face à l'immensité des flots et qui se fane irrésistiblement. La chaleur l'oppresse. Elle est désireuse maintenant des caresses du vent. Elle ôte son peigne, s'ébroue de ses cheveux, déboutonne le haut de son corsage. Avec ses bras nus, sa coiffure à l'abandon, elle a perdu de sa superbe. Il reste ses regards brûlants, claquant dans l'air, qui cinglent les hommes et les tiennent à distance mieux que des coups de fouet.Gerbier veut parler mais un cri lâché des haubans couvre ses premiers mots. Là-bas! C'est la vigie du navire amiral qui la première a donné l'alerte : sur l'horizon, tel un essaim de guêpes, vient d'apparaître la flotte anglaise.Fradin jette un regard affolé vers la côte. Il sait, par expérience, que le dispositif de l'amiral Brueys est trop distendu, trop éloigné des hauts fonds du rivage et hors de portée d'un appui efficace des batteries. Les équipages sont incomplets. Au lendemain du débarquement, Bonaparte n'a laissé à bord que cent canonniers par vaisseau de ligne et cinquante par frégate, mettant ainsi les bâtiments dans l'incapacité de se servir de leur artillerie des deux bords.Il s'en confie au premier lieutenant. Il est si convaincant que celui-ci accepte d'en référer au capitaine. Les gabiers se sont approchés pour entendre la réponse. Au loin, les navires anglais ont déjà doublé de volume. Le premier lieutenant revient et glisse quelques mots. Fradin paraît furieux. Il hausse la voix. Le capitaine paraît enfin. Il a de la prestance et de l'aplomb, cette façon de toiser l'interlocuteur qui d'habitude plaît aux soldats.? Alors Fradin, voilà que tu te prends pour l'amiral?Il y a quelques rires. Fradin a gardé son chapeau et il serre les poings. S'il n'y avait pas cette maudite chaleur, tout pourrait s'arranger.? Sauf votre respect, capitaine, ce que j'en disais, c'était pour le bien de tous.? À chacun son rôle, fourrier, et le bien de tous se portera le mieux du monde. À toi de compter les barriques et à moi de donner des ordres.D'autres rires. Des hommes approuvent ouvertement. Il faut de la discipline. De quoi se mêle le fourrier? Des "Ta gueule, Fradin!" fusent derrière lui. Seul Gerbier l'approuve.Alors, il a un geste d'humilié, un geste de lâche.? Et elle? hurle-t-il en désignant Maria Cavaletto. Une femme à bord, cela porte malheur! Elle doit partir!? Foutaise, dit le capitaine. Ce sont des histoires pour faire peur aux gosses.Pas de rires, cette fois. On ne plaisante pas avec ces choses-là. Les filles embarquées portent la poisse, c'est connu. D'ailleurs, ne sont-elles pas interdites par les règlements?? À terre, la signora! crie Gerbier en cherchant l'appui des autres gabiers. Il faut la ramener à terre, sinon nous autres nous refusons de nous battre! La protection de la "Dame aux lunes" sera paralysée si cette femme reste ici.Maria Cavaletto s'est rapprochée du capitaine. Elle quitte l'aile gauche de la dunette et vient, un sourire dédaigneux aux lèvres, se placer à la droite de son amant. L'étoffe légère de sa robe épouse ses formes, gante sa gorge et ses épaules. Elle est si belle ainsi, les mains sur les hanches, glissant sur le pont avec la majestueuse assurance des lourds vaisseaux anglais qui bouchent maintenant l'horizon et prennent position face aux voiles françaises. Elle s'appuie sur le bras du capitaine en un mouvement d'une grâce parfaite où se mêlent l'abandon et la fierté, l'arrogance des reines et la désinvolture des catins.Le premier lieutenant a senti le danger. Entre la présence à bord de cette femme et un risque de désobéissance de l'équipage, lui, il n'hésite pas.? Peut-être Capitaine, pour la sécurité de madame, serait-il plus raisonnable en effet de l'amener à terre.L'officier a compris lui aussi qu'il devra bien céder, mais il ne peut perdre la face tout à fait.? Pour sa sécurité, je ne dis pas. Mais nous avons le temps. La nuit tombe et jamais les Anglais n'attaqueront avant demain matin. À l'aube, j'aviserai.Un bruit sourd ponctue ses derniers mots. Avec une rare audace, excédé d'avoir coursé en vain les Français à travers toute la Méditerranée, Nelson a décidé de prendre Brueys de court et de ne pas reculer devant les aléas d'un combat de nuit.Sur les vaisseaux de la République, l'affolement est général. Il n'est plus temps de resserrer la ligne, de rapprocher les bâtiments de la côte pour y chercher le secours des batteries, plus temps de rappeler les hommes occupés à terre à décharger le matériel; plus temps, pense Pascal, de chercher une mauvaise querelle au capitaine et à la signora.La défection d'une partie de l'équipage oblige les gabiers à seconder les artilleurs.? Fais comme moi, crie Gerbier à Peau-de-biche dont c'est le premier combat.Il s'entoure la tête de linges à la manière d'un grand turban et amasse le long du bordage son hamac, son sac, tous ses effets. Mais le moussaillon n'est pas assez vif. Un boulet anglais frappe de plein bois au-dessus de leurs têtes, dans un bruit épouvantable et une gerbe d'échardes, coupantes comme des carreaux d'arbalète, pleut sur les hommes. Peau-de-biche s'effondre dans un cri, un morceau de la coursive planté entre les deux yeux.Profitant de la surprise générale, Nelson donne l'ordre de prendre en tenaille le centre de l'escadre de Brueys, sans se laisser arrêter par la présence des hauts fonds. Le "Culloden" s'élance le premier et de son torse de centaure brise l'ordonnancement des Français. Les canonniers anglais lâchent d'imposantes bordées à bout portant, au moment même du franchissement de la ligne, obtenant des effets dévastateurs. Le tableau arrière du "Tonnant", si vulnérable avec ses baies vitrées, vole en éclats. Mais les Français ne sont pas de reste. Leurs boulets aveuglent suffisamment le monstre anglais pour qu'il titube vers la gauche et s'empale sur les brisants de la pointe d'Aboukir. Nelson ne renonce pas : l'épave du "Culloden" servira de balise lors des assauts suivants.Cinq autres navires anglais s'engouffrent dans la brèche, sous le feu nourri des canons. Lorsqu'ils ne sont plus qu'à une demi-portée de pistolet, les caronades, ces pièces courtes installées sur les gaillards, entrent en batterie et tirent à mitraille sur les Français, infligeant des pertes sanglantes sur les ponts.Sur la "Dame aux lunes", les blessés se comptent à pleines mains. On les évacue aussitôt vers une infirmerie de fortune, une chambre basse où il faut marcher courbé, dressée loin du pont pour que les cris ne sapent pas le moral de ceux qui se battent encore.Les canons sont trop longs à recharger pour des hommes qui connaissent mal les manœuvres. Les gabiers ont renoncé à aider les artilleurs. Juchés dans la mâture, ils préfèrent tirer à vue sur l'Anglais.? À terre la femme!, crie quelqu'un que Fradin ne parvient à identifier.Le capitaine est resté courageusement sur la dunette. Il hausse les épaules. D'un geste las, il montre la côte. Il est trop tard. Cinq vaisseaux anglais ont réussi à glisser entre le rivage et la ligne française, coupant toute retraite, harcelant sur un flanc les navires de la République, tandis que cinq autres les attaquent depuis le large.La nuit est belle, pleine d'étoiles, de poudre et de bruits. Lorsque la fumée se dissipe, "L'Orient", le vaisseau-amiral de Brueys apparaît, attaqué de toutes parts, sous le feu conjugué du "Defence", du "Majestic", de l'"Alexander", du "Leander" et du "Bellerophon". Côté français, le "Franklin" et le "Tonnant" peinent à manœuvrer pour lui porter secours.Bientôt l'incendie prend à son gréement. Les flammes courent dans les voilures, embrasent la mâture. Des hommes, fumant comme des mèches, se jettent de vingt mètres de haut. Le vaisseau fuit, les ailes en feu, dans le rougeoiement du crépuscule, harcelé par la flotte anglaise qui se joue de lui, l'accule, le repousse, s'amuse à le persécuter. Un dernier hoquet, une terrible explosion: il sombre soudain comme unepierre, entraînant la majorité de son équipage dans la mort.Sur la "Dame aux lunes", le capitaine lâche des ordres brefs mais il peine à se faire obéir. La confusion est totale. Pendant de longues minutes, la frégate, affolée, tourne en rond, cherche la protection des vaisseaux de ligne encore en état, dont la puissance de feu est seule en mesure de la couvrir. Mais le "Conquérant", l' "Aquilon", le "Guerrier", le "Spartiate" peut-être, tour à tour amènent pavillon. Le désastre se profile? À vos postes!, crie le capitaine. La "Dame aux lunes" vous protège, vous le savez! À vos postes, nom d'un chien!? La femme d'abord!, reprend quelqu'un.Est-ce Gerbier? se demande Fradin. Mais il y a tant de poudre qu'il parvient à peine à distinguer les formes. Le cri est repris par d'autres.? La femme! Sans elle, la "Dame aux lunes" nous aurait déjà sauvés!? Le premier qui avance, je l'abats, dit le capitaine en armant son pistolet.Mais il perd l'équilibre. La "Dame aux lunes" s'approche dangereusement du feu anglais. Une volée de boulets pleut sur le pont. Quand la fumée se dissipe, il n'y a plus de capitaine.Le premier-lieutenant a ramassé le pistolet.? La femme!, reprennent les gabiers. La femme! La femme à la mer!? Allons, dit le premier lieutenant. Êtes-vous donc des lâches?? Et elle, pourquoi se cache-t-elle?Cette fois, c'est Gerbier. Fradin en est sûr.Alors, elle paraît, presque aussi belle que tout à l'heure. Elle s'approche avec toujours le même port de tête, la même assurance, la même démarche hautaine. La lumière des incendies souligne son galbe délicat, donne à ses cheveux des reflets d'or cendré. Elle retrousse les lèvres, découvre des dents prêtes à mordre. Et par défi, pour qu'ils comprennent bien qu'il a des formes de mépris que rien ne peut arrêter, elle s'appuie sur l'épaule du premier lieutenant, s'abandonne contre lui et leur sourit.? Ah, lieutenant! dit Gerbier qui, livide, s'est dressé. Regardez donc autour de vous. Nous allons tous y passer. Seule la "Dame aux lunes" peut nous sauver.Marie Cavaletto rit à gorge déployée, offre son cou délié aux regards des gabiers.Alors Gerbier, les poings serrés, fait un pas en avant. Sans hésiter, le premier-lieutenant l'abat d'une balle entre les deux yeux.Le feu anglais redouble. À leur gauche, le "Franklin", à demi démâté, amène lui aussi son pavillon. La fin est proche. Un boulet tombe à quelques mètres d'eux, un autre balaie le pont arrière. Le troisième semble ricocher sur la proue, fouette la frégate qui tremble sur sa base.? Nom de Dieu, dit Fradin, la "Dame aux lunes"!Tous se tournent vers l'avant du bateau. Là où la figure de proue trônait un instant auparavant, ce n'est qu'un amas de bois déchiré. Un joli coup, aussi précis qu'un tir de pistolet.? Et maintenant, pauvres fous, dit Maria Cavalleto en faisant jouer sa chevelure sur ses épaules. Sans votre "Dame aux lunes", votre belle protectrice, comment allez-vous échapper aux flammes de l'enfer?Vers minuit, dit-on, le combat cessa. Des deux côtés, épuisés, les canonniers s'endormirent à leurs pièces. Dans les deux camps, on compta ses pertes. Toute la nuit, les gémissements couvrirent la baie d'Aboukir. La bataille reprit à l'aube, parachevant le désastre français. De la flotte du général Bonaparte, seuls les deux derniers vaisseaux de l'arrière-garde, sous les ordres du contre-amiral Villeneuve, parvinrent à se dégager et à gagner le large, en liaison avec deux frégates, perçant la défense anglaise.Deux canonniers anglais rapportèrent qu'ils avaient vu, phosphorescente dans la fumée des canons, une femme à la proue de l'une des frégates. Elle était nue, ficelée au mât de mitaine, le regard halluciné. Sa poitrine battait les vagues. L'eau ruisselait sur son visage, sur ses fesses plaquées sur le bois rêche et mouillé, sur ses jambes interminables. Ils n'avaient jamais vu de femme aussi belle et jamais ils n'oublieront la vision hallucinée de ses seins pointés vers le large, de ses hanches prisonnières des cordes, de sa toison luisante et argentée offerte aux grands coups de langue de la mer.? Elle avait les yeux ouverts, dit l'un.? Je crois bien qu'elle riait, dit l'autre.

L'avis des bibliothèques

Spinner En cours de chargement ...

Autres infos

Genre
Editeur
Julliard
Année
2012
Date de sortie
18/01/2012
Format
EPUB
epub_encrypt_lcp
Mode de lecture
Texte
Thèmes
Ebooks
Veuillez vous connecter à votre compte svp

...

x Cacher la playlist

Commandes > x
     

Aucune piste en cours de lecture

 

 

--|--
--|--
Activer/Désactiver le son